RÉSOLUTION 1003 (1993)[1] relative à l'éthique du journalisme
RÉSOLUTION 1003 (1993)[1]
relative à l'éthique du journalisme
L'Assemblée affirme ci-après les principes éthiques du journalisme et estime que ceux-ci devraient être appliqués par la profession à travers l'Europe.
Informations et opinions
-
Outre les droits et les devoirs juridiques stipulés par les normes juridiques pertinentes, les médias assument, à l'égard des citoyens et de la société, une responsabilité morale qu'il faut souligner, particulièrement dans un moment où l'information et la communication ont une grande importance tant pour le développement de la personnalité des citoyens que pour l'évolution de la société et de la vie démocratique. -
L'exercice du journalisme comporte des droits et des devoirs, des libertés et des responsabilités. -
Le principe de base de toute réflexion morale sur le journalisme doit partir d'une claire différenciation entre nouvelles et opinions, en évitant toute confusion. Les nouvelles sont des informations, des faits et des données, et les opinions sont l'expression de pensées, d'idées, de croyances ou de jugements de valeur par les médias, les éditeurs ou les journalistes. -
Les nouvelles doivent être diffusées en respectant le principe de véracité, après avoir fait l'objet des vérifications de rigueur, et doivent être exposées, décrites et présentées avec impartialité. Il ne faut pas confondre informations et rumeurs. Les titres et les énoncés d'informations doivent être l'expression le plus fidèle possible du contenu des faits et des données. -
L'expression d'opinions peut consister en réflexions ou commentaires sur des idées générales, ou se référer à des commentaires sur des informations en rapport avec des événements concrets. Mais, s'il est vrai que l'expression d'opinions est subjective et que l'on ne peut ni ne doit exiger la véracité, on peut exiger en revanche que l'expression d'opinions se fasse à partir d'exposés honnêtes et corrects du point de vue éthique. -
Les opinions sous forme de commentaires sur des événements ou des actions ayant trait à des personnes ou des institutions ne doivent pas viser à nier ou à cacher la réalité des faits ou des données.
Le droit à l'information comme droit fondamental des personnes - Éditeurs, propriétaires et journalistes
-
Les médias accomplissent un travail de «médiation» et de prestation du service de l'information, et les droits qu'ils ont quant à la liberté d'information sont fonction des destinataires, c'est-à-dire des citoyens. -
L'information constitue un droit fondamental, mis en lumière par la jurisprudence de la Commission et de la Cour européennes des Droits de l'Homme relative à l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et reconnu par l'article 9 de la Convention européenne sur la télévision transfrontière ainsi que par les Constitutions démocratiques. Ce droit appartient aux citoyens, qui peuvent également exiger que l'information donnée par le journaliste soit transmise fidèlement dans les nouvelles et commentée avec honnêteté, sans ingérences extérieures que ce soit de la part des pouvoirs publics ou d'entités privées. -
Les pouvoirs publics ne doivent pas considérer qu'ils sont les propriétaires de l'information. La représentativité publique permet d'agir en vue de garantir et de développer le pluralisme des médias, et d'assurer que les conditions nécessaires à l'exercice de la liberté d'expression et du droit à l'information sont réunies, en excluant la censure préalable. Le Comité des Ministres en est d'ailleurs conscient comme le prouve sa Déclaration sur la liberté d'expression et d'information adoptée le 29 avril 1982. -
Il faut garder à l'esprit que le journalisme repose sur les médias qui sont supportés par une structure d'entreprise à l'intérieur de laquelle il faut faire une distinction entre éditeurs, propriétaires et journalistes. C'est pourquoi il faut non seulement garantir la liberté des médias, mais aussi sauvegarder la liberté dans les médias en évitant les pressions internes. -
Les entreprises d'information doivent être considérées comme des entreprises socio-économiques spéciales dont les objectifs patronaux seront limités par les conditions qui doivent rendre possible la prestation d'un droit fondamental. -
Dans les entreprises d'information, il faut qu'il y ait une totale transparence en matière de propriété et de gestion des médias, afin que les citoyens connaissent clairement l'identité des propriétaires et leur niveau d'engagement économique dans les médias. -
Dans l'entreprise elle-même, les éditeurs doivent cohabiter avec les journalistes, en tenant compte du fait que le respect légitime de l'orientation idéologique des éditeurs ou des propriétaires est limité par les exigences incontournables de la véracité des nouvelles et de la rectitude morale des opinions, exigées par le droit fondamental des citoyens à l'information. -
En fonction de ces exigences, il faut renforcer les garanties de liberté d'expression des journalistes qui sont ceux qui, en dernier ressort, transmettent l'information. Il faut pour cela affiner juridiquement et clarifier la nature de la clause de conscience et du secret professionnel vis-à-vis des sources confidentielles, en harmonisant les dispositions nationales afin de pouvoir les appliquer dans le cadre plus large de l'espace démocratique européen. -
Ni les éditeurs, ni les propriétaires, ni les journalistes ne doivent considérer que l'information leur appartient. Dans l'entreprise ayant pour vocation l'information, celle-ci ne doit pas être traitée comme une marchandise mais comme un droit fondamental des citoyens. En conséquence, ni la qualité des informations ou des opinions, ni le sens de celles-ci ne doivent être exploités dans le but d'augmenter le nombre de lecteurs ou l'audience, et par voie de conséquence les revenus de la publicité. -
Toute information conforme aux impératifs éthiques exige que l'on considère ses destinataires comme des personnes et non comme une masse.
La fonction du journalisme et son activité éthique
-
L'information et la communication, tâches dont s'acquitte le journalisme au travers des médias et avec le formidable support des nouvelles technologies, ont une importance décisive dans le développement individuel et social. Elles sont indispensables dans la vie démocratique, car, pour que la démocratie puisse se développer pleinement, la participation des citoyens aux affaires publiques doit être garantie. Or, celle-ci serait impossible si les citoyens ne recevaient pas l'information nécessaire concernant les affaires publiques que doivent leur procurer les médias. -
L'importance de l'information, et en particulier de la radio et de la télévision, dans la culture et l'éducation a été soulignée dans la Recommandation 1067 de l'Assemblée. Ses répercussions sur l'opinion publique sont évidentes. -
Il serait faux, néanmoins, d'en déduire que les médias représentent l'opinion publique ou qu'ils doivent remplacer les fonctions propres aux pouvoirs publics ou aux institutions à caractère éducatif ou culturel telles que l'école. -
Cela amènerait à convertir les médias et le journalisme en pouvoirs et contre-pouvoirs («médiocratie»), sans que ceux-ci soient représentatifs des citoyens ni assujettis aux contrôles démocratiques comme les pouvoirs publics, et sans qu'ils possèdent la spécialisation des institutions culturelles ou éducatives compétentes. -
Par conséquent, le journalisme ne doit pas conditionner ni médiatiser l'information vraie ou impartiale, ni les opinions honnêtes en prétendant créer ou former l'opinion publique, étant donné que sa légitimité réside dans le respect effectif du droit fondamental des citoyens à l'information dans le cadre du respect des valeurs démocratiques. Dans ce sens le journalisme d'investigation légitime trouve ses limites dans la véracité et l'honnêteté des informations et des opinions, et il est incompatible avec toute campagne journalistique réalisée à partir de prises de position a priori et au service d'intérêts particuliers. -
Les journalistes, dans les informations qu'ils donnent et les opinions qu'ils formulent, doivent respecter la présomption d'innocence, principalement lorsqu'il s'agit d'affaires en instance de jugement, en évitant de prononcer des verdicts. -
Le droit des personnes à une vie privée doit être respecté. Les personnes qui ont des fonctions publiques ont droit à la protection de leur vie privée sauf dans les cas où cela peut avoir des incidences sur la vie publique. Le fait qu'une personne occupe un poste dans la fonction publique ne la prive pas du droit au respect de sa vie privée. -
La recherche d'un équilibre entre le droit au respect de la vie privée, consacré par l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, et la liberté d'expression, consacrée par l'article 10, est largement illustrée par la jurisprudence récente de la Commission et de la Cour européennes des Droits de l'Homme. -
Dans l'exercice de la profession de journaliste, la fin ne justifie pas les moyens; l'information doit donc être obtenue par des moyens légaux et moraux. -
A la demande des personnes intéressées, et par l'intermédiaire des médias, on rectifiera automatiquement et rapidement, avec le traitement informatif adéquat, toutes les informations et les opinions démontrées fausses ou erronées. La législation nationale devrait prévoir des sanctions adéquates et, si nécessaire, des dédommagements. -
Pour qu'il existe une harmonisation dans l'utilisation de ce droit dans les États membres du Conseil de l'Europe, il convient de mettre en œuvre la Résolution (74) 26 sur le droit de réponse _ Situation de l'individu à l'égard de la presse, adoptée par le Comité des Ministres le 2 juillet 1974, ainsi que les dispositions pertinentes de la Convention européenne sur la télévision transfrontière. -
Pour assurer la qualité du travail du journaliste et son indépendance, il faut garantir à celui-ci un salaire digne et des conditions, des moyens et des instruments de travail appropriés. -
Dans les rapports nécessaires qu'il leur faut entretenir avec les pouvoirs publics ou les milieux économiques, les journalistes doivent éviter d'en arriver à une connivence de nature à nuire à l'indépendance et l'impartialité de leur profession. -
Les journalistes ne doivent pas confondre les événements conflictuels et spectaculaires avec les faits importants d'un point de vue informatif. Dans l'exercice de leur profession, ils ne doivent pas avoir pour objectif principal d'acquérir du prestige et une influence personnelle. -
Étant donné la complexité du processus informatif, qui de plus en plus suppose l'emploi de nouvelles technologies, de la rapidité et un esprit de synthèse, il faut exiger du journaliste une formation professionnelle adéquate.
Les statuts de la rédaction journalistique
-
Dans les entreprises d'information, les éditeurs, les propriétaires et les journalistes doivent cohabiter. Pour ce faire, il faut élaborer des statuts de la rédaction journalistique pour réglementer les rapports professionnels des journalistes avec les propriétaires et avec les éditeurs au sein des médias, indépendamment des obligations normales entre partenaires sociaux. On pourra prévoir dans ces statuts l'existence de comités de rédaction.
Situations de conflit et cas de protection spéciale
-
La société connaît parfois des situations de conflit et de tension nées sous la pression de facteurs tels que le terrorisme, la discrimination à l'encontre des minorités, la xénophobie ou la guerre. Dans ces circonstances, les médias ont l'obligation morale de défendre les valeurs de la démocratie: respect de la dignité humaine et recherche de solutions par des méthodes pacifiques et dans un esprit de tolérance. Ils doivent, par conséquent, s'opposer à la violence et au langage de la haine et de l'affrontement, en rejetant toute discrimination fondée sur la culture, le sexe ou la religion. -
Lorsqu'il s'agit de défendre les valeurs démocratiques, personne ne doit rester neutre. Dans ce sens, les médias doivent contribuer dans une mesure importante à prévenir les moments de tension et favoriser la compréhension mutuelle, la tolérance et la confiance entre les différentes communautés dans les régions en conflit, comme l'a fait le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe en encourageant l'adoption de mesures de confiance dans le cas des territoires de l'ancienne Yougoslavie. -
Compte tenu de l'influence toute spéciale des médias, et surtout de la télévision, sur la sensibilité des enfants et des jeunes, il convient d'éviter la diffusion d'émissions, de messages ou d'images glorifiant la violence, exploitant le sexe et la consommation, ou faisant usage d'un langage délibérément inconvenant.
Éthique et autocontrôle en journalisme
-
Compte tenu de ce qui précède, les médias doivent s'engager à se soumettre à des principes déontologiques rigoureux garantissant la liberté d'expression et le droit fondamental des citoyens à recevoir des informations vraies et des opinions honnêtes. -
Pour la surveillance de la mise en application de ces principes, il faut créer des organismes ou des mécanismes d'autocontrôle composés d'éditeurs, de journalistes, d'associations d'utilisateurs des médias, de représentants des milieux universitaires et de juges qui élaboreront des résolutions sur le respect des préceptes déontologiques par les journalistes, que les médias s'engageront à rendre publiques. Tout cela aidera le citoyen, qui a droit à l'information, à porter un jugement critique sur le travail du journaliste et sur sa crédibilité. -
Les organismes ou les mécanismes d'autocontrôle ainsi que les associations d'utilisateurs des médias et les départements universitaires compétents pourront publier annuellement les recherches effectuées a posteriori sur la véracité des informations diffusées par les médias, par rapport à la réalité des faits. De cette façon, on obtiendra un baromètre de la crédibilité qui renseignera les citoyens sur la valeur éthique de chaque média ou de chaque section, ou d'un journaliste en particulier. Les mesures correctives prises en conséquence permettront en même temps d'améliorer l'exercice de la profession de journaliste.
[1] Discussion par l'Assemblée le 1er juillet 1993 (42e séance) (voir Doc. 6854, rapport de la commission de la culture et de l'éducation, rapporteur: M. Núñez Encabo).
Texte adopté par l'Assemblée le 1erjuillet 1993 (42e séance).
Texte adopté par l'Assemblée le 1erjuillet 1993 (42e séance).
Comentaris